Interview de Jean-Marie Glidic
Goémonier et papa de Manon
Où allez-vous chercher le goémon ?
- Surtout sur la côte nord de lîle de Batz. On fait toute la
côte jusquà Carantec, Santec.
A quel âge avez-vous commencé à faire ce métier ?
- A 21 ans.
Durant quelle saison allez-vous chercher le goémon ?
- Du 10 mai au 15 octobre.
Combien de temps passez-vous à le récolter ?
- Certains jours, jusquà 13 heures (13 h en pêche) ; en
fin de saison : 8 heures.
Comment sappelle votre bateau ?
- Le « Sainte-Anne ».
A combien de kilomètres de la côte allez-vous chercher le
goémon ?
Que faites-vous avec le goémon ?
- On le vide sur Roscoff. Des transporteurs viennent le récupérer
puis il part en usine à Landerneau et à Lannilis.
Est-ce que cela vous plaît de faire ce métier ?
- Beaucoup.
Combien êtes-vous de passagers à bord ?
- Je suis tout seul. Je suis le patron.
A quelle vitesse va votre bateau ?
- Sept nuds.
Combien de tonnes de goémon péchez-vous en une saison ?
- Entre 700 et 800 tonnes.
Comment faites-vous pour attraper le goémon ?
- Cest un système hydraulique. Il y a une grue sur le bateau.
Cest un crochet que lon plonge dans leau. Comme cest hydraulique,
ça tourne. Lalgue senroule autour. On remonte la charge ensuite. Sur le
bateau, on fait tourner le crochet dans lautre sens et là, lalgue tombe
dans le bateau.
A quoi sert le goémon ?
- On lemmène en usine. Là, le stock que lon fait en
une saison est travaillé toute lannée. Ils en font de la farine quon appelle
lalginate. Lalginate, on la trouve dans les levures pour faire le pain et les
gâteaux, dans les baguettes de soudures, dans les appareils dentaires, dans les produits
pharmaceutiques. La base de lalgue est un gélifiant.
Est-ce que cest le même goémon quon utilise comme
engrais sur la terre ?
- Non ! Notre algue est spécifique. Celle dont on se sert pour
les champs pousse plus bas. Dans nos chargements, on a le droit à 15 % dalgues
« étrangères ». Si on dépasse les 15 % on a une pénalité
« dun jour à la maison » sur la semaine.
Combien de goémoniers êtes-vous sur lîle ?
- Cinq. Il y a un sixième bateau. Cest aussi un gars de
lîle mais il travaille sur Molène. Cest un plus gros bateau. Sinon il y a
des goémoniers sur Plouguerneau, sur Landeda , sur Porsall. La grosse flottille est à
Molène. Cest là-bas que se trouvent les grands champs dalgues. Les bateaux
peuvent charger jusquà 50 tonnes. Le plus petit fait 1 400 tonnes dans sa
saison et cela va jusquà 2 700 tonnes.
Votre métier est-il difficile ?
- Certains jours, oui. Selon la mer, selon le temps. Comme nous
travaillons à proximité des roches, cest plus dangereux quand la mer est houleuse.
Vous navez pas peur de couler ?
- Non. Il ne faut pas.
Auriez-vous aimé être marin-pêcheur ?
- Je suis marin pêcheur. Je suis sous le régime de la marine, mais
cest autre chose. Ce nest pas le poisson, ce sont les algues ; mais
ma profession est marin-pêcheur. Avec mon bateau, je peux faire de la pêche aussi.
Comment sappelle le crochet qui permet de décrocher les
algues ?
- Le scoubidou.
Pouvez-vous nous raconter une journée de travail ?
- On est à peu près une cinquantaine de goémoniers dans le
Finistère (de 50 à 55). Sur les 55, on récolte à peu près entre 50 et 60 000
tonnes dalgues en 6 mois. Lalgue est conservée dans des silos. Elle se
conserve tout lhiver. Lalgue que lon travaille sappelle la
laminaire. Le nom scientifique est Laminaria digitata. Nous, on appelle ça
« le tali ».
- Quand on a fini de décharger à Roscoff, on revient sur lîle
avec notre bateau et on repart le lendemain. En début de saison, on a le droit de
travailler 2 à 3 jours par semaine car il y a des quotas. Après fin juin, on a le droit
de travailler 5 jours mais à toute charge (on a le droit de charger le bateau tandis
quen début de saison on na seulement droit quà 15 tonnes par jour,
cela pour laisser lalgue pousser afin de faire un gros rendement après le mois de
juin. Fin juillet, début août, nous avons une algue mûre car lalgue arrête de
pousser fin juillet. A la mi-juillet, elle jette ses graines. Quand on travaille, on
arrache toute la racine. Quand on récolte, on ressème en même temps. Les graines, ce
sont les spores quil y a dans les « feuilles » (les lames).
Pourquoi ne pêchez-vous pas après octobre ?
Ce nest pas trop difficile à arracher ?
Est-ce que cest facile de travailler tout seul ? Cela ne
serait-il pas plus facile dêtre deux ?
Avez-vous le droit de travailler à plusieurs bateaux ?
- Sur lîle de Batz, généralement, on est 5. On choisit
notre endroit selon le temps et on travaille toujours en même temps. Si on touche un
rocher avec 20 tonnes à bord, cela peut être laccident. Sur les 55 goémoniers qui
travaillent dans le Finistère, il y a un goémonier qui coule par saison. Mais il
ny a jamais eu mort dhomme avec un goémonier au travail. Les plus gros
accidents sont arrivés à Molène. Les bateaux sont en surcharge et ils ont une heure de
route entre Molène et Lanildut. Pour eux, cela fait long. Durant le trajet, avec la
houle, ils peuvent embarquer un peu deau et les pompes ne suffisent plus.
Vous, vous nallez pas loin ?
Avez vous un autre métier ?
Comment faites-vous pour planter et semer alors que vous êtes en
mer ?
Cela vous est-il déjà arrivé de revenir avec votre bateau
vide ?
- Cela arrive, oui. On peur partir et faire le tour de lîle
de Batz. La mer est trop houleuse. On ne peut pas travailler, alors on revient au port.
Comment avez-vous appris ce métier ?
- Mon père le faisait « à lancienne ». Il
faisait cela avec « une plate ». Il mettait à peu près 2 tonnes.
Cétait arraché à la main avec un scoubidou manuel. Il mettait ensuite le goémon
à sécher sur les dunes. Cela demandait beaucoup plus de travail. Certains jours, quand
javais à peu près votre âge, jallais couper avec lui. Il me mettait sur les
rochers et je coupais les algues avec la faucille quon rechargeait après, quand la
mer montait, dans la plate. Cest comme ça que le métier « ma
pris ». Je voulais le faire depuis longtemps.
Vous avez appris comme ça, avec votre père ?
- Non car le métier que je fais maintenant est différent de celui
de mon père. Mais jai appris ce métier avec lenvie de le faire.
Il ny a pas décole pour apprendre ?
- Non, il faut apprendre sur le tas. On aime ou on naime pas.
Sur lîle de Batz, il y a eu jusquà 13 goémoniers.
Aimeriez-vous que votre fils fasse le même métier que vous ?
- Je pense que oui parce que cest un métier que jadore.
Tout dépendra, si les usines tiennent le coup.
Est-ce quon gagne suffisamment bien sa vie ?
- Oui. On peut bien gagner sa vie. Mais, comme on dit « il
faut mordre dedans ! » Cest un métier où il faut travailler et surtout
ne pas avoir peur des rochers. Il faut apprendre à savoir où ils sont. Après, ça va
tout seul.
Quel âge a votre bateau ?
- 22 ans. Je suis le 5ème propriétaire. Je lai acheté il y
a 5 ans. Il peut encore « faire » 10 ans.
Y-a-t-il des femmes qui font ce métier ?
- Je crois quil y en a 3, mais sur des gros bateaux, des
bateaux de Molène qui chargent 40 à 50 tonnes. Ces bateaux ont deux grues et deux
cabines. Le patron est souvent le mari qui conduit le bateau et se sert dune
grue ; la femme se sert de lautre à lautre bout du bateau. Il y 7 à 8
bateaux qui ont deux grues.
Rentrez-vous à Roscoff tous ensemble ?
- Oui. On rentre en groupe car il ne faut pas faire attendre le
camion. Pour nous 5, il faut 3 camions. On saide à vider les bateaux.
Vous travaillez le week-end aussi ?
- Non. En début de saison, on travaille 3 jours. De juillet à
octobre, cest 5 jours. On ne travaille pas le week-end car les camions nont
pas le droit de rouler le samedi et le dimanche.
Êtes-vous fatigué quand vous rentrez ?
- Certains jours, oui. Par exemple, au mois de juin, en fonction de
la marée, on peut partir en mer à midi, rentrer vers minuit et prendre la marée du
matin, cest à dire repartir à 4 h. On se lève alors à 2 h et demi. La nuit est
très courte, mais ce ne sont que certaines semaines.
Vous allez bientôt arrêter car nous sommes à la mi-octobre ?
- Cette année, en septembre et octobre, on na absolument rien
fait. La mer était trop houleuse. En septembre, jai fait deux marées, deux jours
de mer. Cest pour cela quil faut bien travailler jusquà la mi-août.
Quavez-vous fait de votre ancien bateau ?
- Je lai donné à la ville de Santec. On la placé sur
un rond point. Dans ce bateau, je mettais 12,5 tonnes.
Où sont fabriqués les goémoniers ?
- Il y a plusieurs chantiers. Le mien vient dun chantier qui a
fermé ; cest le chantier « Le Got » à Plouguerneau. Lan
dernier, je lai envoyé à réparer au chantier de Saint-Pabut.
Combien coûte un bateau neuf ?
- Entre 120 000 et 140 000 . Cest du bois.
Cest fragile mais quand on fait un trou, on peut le reboucher. Moi, jai
acheté le mien doccasion, 30 500 . Mais là, en trois ans, le bateau
doccasion est passé à 70 000 .
A quel âge avez-vous décidé de faire ce métier ?
- A 20, 21 ans.
Y a-t-il des risques de pollution ?
- Autrefois, les goémoniers séchaient toutes leurs algues sur les
dunes. Depuis la marée noire de lAmoco Cadiz (1978), les usines ont
tellement peur de la pollution quelles demandent de leur livrer lalgue
directement à lusine. Depuis cela, le métier sest profondément modifié. Il
ny a plus de séchage à faire. Cest beaucoup moins de travail.
Lalgue peut-elle être polluée ?
- Oui, car cest une algue qui se découvre à grande marée
car elle est très haute.
Combien vous achète-t-on la tonne ?
- Cette année, en début de saison, 38,10 ; en fin de
saison, 38,90 . Si on travaille bien, on arrive à faire 610 dans la
journée. Mais cest saisonnier et cest un métier où on casse beaucoup de
choses.